Le Mai Tai est le cocktail le plus emblématique de la culture Tiki (même le Zombie ne pourrait pas lui disputer le titre je pense). Un jour il y aura sur ce site un article dédié à la fameuse tiki craze, la folie polynésienne qui s’est emparée des Etats-Unis dans la première moitié du siècle dernier.
Mais il y a déjà beaucoup à dire sur le Mai Tai en lui-même. Il faut avoir au moins une chose à l’esprit : le Mai Tai et tous ses cousins sont appelés faux tropicaux, car bien qu’ayant l’air de cocktails hawaïens, ils ont en fait été créés par des entrepreneurs californiens.
La naissance du Mai Tai
Beaucoup de cocktails populaires, comme le Mojito ou la Caïpirinha ont une paternité floue car perdue dans les méandres de l’histoire. À peu près n’importe qui aurait pu les inventer. Pour le Mai Tai c’est un peu différent. On peut dire qu’il n’y a que deux personnes qui auraient pu l’inventer : Don The Beachcomber et Victor « Trader Vic » Bergeron. Et malgré les allégations de Don, qui prétend l’avoir inventé en 1933, c’est bien Trader Vic qui a créé le Mai Tai, un jour béni de 1944.
Voici l’histoire telle que l’a racontée Trader Vic en 1970, et telle qu’on pouvait la lire il y a encore quelques temps sur le site de la compagnie Trader Vic, heureusement sauvegardée par le site archive.org.
Un rhum jamaïcain à l’honneur
Inspiré par une bouteille de Wray & Nephew 17 ans d’âge, un rhum qu’il décrit comme « doré de manière surprenante, avec du corps mais trop, et ces notes âcres typiques des blends jamaïcains », Trader Vic voulait faire un cocktail qui fasse la part belle au rhum.
En effet beaucoup de cocktails inventés à cette période contiennent plusieurs jus de fruits (orange et ananas par exemple), en plus du jus de lime, qui viennent contrebalancer en goût le rhum. Pas de ça dans le Mai Tai ! Le seul jus qu’il contient est celui du citron vert (et encore, c’est de trop pour Malory Archer)
Rhum, citron vert, curaçao hollandais (lequel, il ne le dit pas pour l’instant), orgeat français, et sirop « rock candy » sont les seuls ingrédients du Mai Tai. Oui c’est beaucoup par rapport à un Dry Martini, mais c’est dans la fourchette basse pour un Tiki. Le demi-citron vert usagé pour la couleur, et un bouquet de menthe en garnish (les deux ensemble symbolisant une ile déserte avec son palmier), et voilà le Mai Tai était né.
Vic en a servi deux à un couple d’ami tahitiens, Ham et Carrie Guild. Après sa première gorgée, Carrie se serait exclamée : Maita’i – Roa Ae, qui signifie extraordinaire (littéralement d’un autre monde), le meilleur. C’est ainsi que le cocktail a été nommé, quoique mal orthographié.
Quand il n’y a plus de 17 ans d’âge …
Ce cocktail est devenu vite populaire, notamment grâce à la chaîne de restaurants de Trader Vic. Malheureusement les réserves de Wray & Nephew 17 n’ont pas tenu le choc de demande … Qu’à cela ne tienne le 15 ans d’âge faisait aussi l’affaire, et c’est ainsi que Trader Vic a pu tenir quelques années de plus.
Malheureusement les réserves de Wray & Nephew 15 n’étaient pas infinies non plus, et Trader Vic n’a pas vraiment trouvé de remplaçant dans le commerce. Il a alors décidé de produire lui-même son blend de rhum jamaïcain pour servir les Mai Tai dans ses restaurants.
Malgré cela, Trader Vic n’a jamais retrouvé la saveur d’antan du Wray & Nephew. Il a donc décidé d’ajouter un rhum de la Martinique à son rhum jamaïcain pour retrouver l’esprit du rhum original. Longtemps, on a pensé que c’était du Saint-James (le seul rhum de la Martinique à peu près disponible aux US à l’époque). Mais Martin Cate, dans le meilleur livre sur le tiki, nous dit que le Trader décrivait ce rhum comme ayant « la couleur du café ». Or à cette époque, le seul rhum qui peut raisonnablement être qualifié ainsi c’est … le Negrita ! Et oui, notre rhum pour les pâtisseries s’est très probablement trouvé dans les Mai Tai de Trader Vic.
C’est aussi à cette époque-là que Vic aurait décidé de remplacer son curaçao habituel par celui produit par Bols (mais on ne sait pas quel était l’original .. De Kuyper peut-être ?).
Les produits dérivés officiels du Mai Tai
En 1954, Trader Vic a passé un accord avec la Matson Steamship Lines pour superviser les menus des bars de la compagnie : ceux des hôtels Royal Hawaiian et Moana Surfrider. C’est à cette occasion que l'(in)fameuse version du Mai Tai contenant du jus d’ananas et du jus d’orange aurait fait son apparition, pour faire un drink plus long qui correspondait mieux aux touristes de l’ile. Pour la distinguer de l’originale, nous l’appellerons Royal Hawaiian Mai Tai.
Mais même si cette recette trahit un peu l’esprit original du cocktail (à savoir ne pas contrer le rhum par trop de jus de fruits), il y a pire à mes yeux que la version hawaïenne du Mai Tai : le Mai Tai mix !
Et oui, comme la Margarita, il y a eu des Mai Tai mix, dont un produit par Trader Vic himself. C’était officiellement pour assurer une qualité constante d’un restaurant à l’autre, mais on sait tous ce que cela implique en terme de conservation pour qu’un tel produit soit distribué à grande échelle. Pour sa défense, il semblait ne contenir que les éléments naturellement stables de la recette : curaçao, orgeat et sirop rock candy.
Le Mai Tai de nos jours
Les rhums n’existent plus, le curaçao Bols ne court pas les rues (ou alors dans sa version bleue, beurk), et le sirop rock candy est introuvable ! Bref, préparer un Mai Tai aujourd’hui semble être une gageure. Et pourtant, grâce à de petits astuces et à la créativité des barmen, il est possible aujourd’hui de boire de délicieux Mai Tai.
Premièrement, on peut recourir à la même astuce que Trader Vic pour les rhums : moitié de rhum traditionnel et moitié de rhum agricole. Jim Meehan propose par exemple d’associer un Banks 5 et un Clément VSOP. Ou pourquoi pas un Appleton Signature (ou un 12 ans d’âge), avec un Depaz vieux (cuvée Victor, clin d’oeil au Trader !). Bref, les combinaisons ne manquent pas, et sont autant d’excuses pour boire un Mai Tai dans une autre version.
Deuxièmement, pour le curaçao, on a de très bon en France, et notamment un très connu que beaucoup de personnes ne soupçonnent pas être un curaçao : le Grand Marnier ! Et oui une liqueur d’oranges à base de cognac, j’appelle ça … un curaçao ! Et non, le curaçao n’est pas forcément bleu.
Enfin pour finir, d’après mes recherches le rock candy syrup fait surtout référence à une méthode de fabrication, et des propriétés de conservation, bref, rien d’exceptionnel. D’ailleurs Martin Cate, un spécialiste actuel du Tiki, recommande de préparer son propre sirop de sucre demarara pour apporter des saveurs plus profondes et plus riches à son cocktail. Il faudra que j’essaie. Mais pour l’instant, je m’en tiens à ma propre recette : ne pas mettre de sirop simple, et mettre double dose de sirop d’orgeat !
Mai Tai
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Ingrédients
- 3 cl rhum traditionnel Havana Club, Banks 5
- 3 cl rhum agricole Clément VSOP
- 3 cl jus de citron vert
- 1,5 cl curaçao Grand Marnier ou Pierre Ferrand
- 1,5 cl sirop d'orgeat
- glace pilée
- bouquet de menthe
Instructions
- Verser les ingrédients dans la base du shaker
- Recouvrir de glaçons et agiter 7-10 secondes
- Verser tout le contenu du shaker dans le verre, glaçons compris (c'est la tradition pour les tikis, utiliser des glaçons un peu plus petit qu'habituellement si vous pouvez)
- Garnir du reste du 1/2 citron vert pressé et d'un petit bouquet de menthe pour symbolier une île déserte et son palmier.
- Planter deux pailles (une paille coupée en deux) dedans
Notes
Attention ce cocktail est parfois mal orthographié Mai Thai, mais il n’a rien à voir avec la Thaïlande, comme vous le savez maintenant !
J’ai aussi vu que certains appelaient Grand Mai Tai un Mai Tai au Grand Marnier, mais je pense que c’est simplement une récupération marketing de la marque. D’ailleurs je prépare souvent mes Mai Tai au Grand Marnier, et je les appelle simplement des Mai Tai.