Vous avez remarqué que je n’ai pas dit « le roi du cocktail cubain ». Non j’ai bien dit le « roi cubain du cocktail ». Parce que ce cocktail, qui représente la sainte trinité du cocktail des Caraïbes (rhum, citron vert, sucre), a mis Cuba au centre de la carte mondiale de la mixologie.
Pour comprendre comment, il va nous falloir faire un petit crochet historique (vous nous connaissez). Mais sans plus attendre, parce que je sais que certains ici sont pressés, voici la recette du Daiquiri qui a conquis le monde.
Daiquiri Cocktail
Ingrédients
- 6 cl rhum traditionnel cubain
- 3 cl jus de citron vert frais
- 1 cl sirop simple
Instructions
- Assemblez les différents liquides dans votre shaker
- Secouez une dizaine de secondes
- Servez dans une coupette cocktail refroidie. Sans garniture pour la version simple.
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Les origines violentes du Daïquiri
Comme toute les histoires qui commencent dans les Caraïbes, celle du Daïquiri est violente. Pourquoi je dis ça ? Pensez que depuis le 15e siècle, elles ont connu les massacres d’indiens par les conquistadors, la piraterie, le commerce triangulaire et les travaux forcés dans des conditions déplorables pour les esclaves … bref que du joyeux !
Ici c’est encore un autre contexte violent qui est à l’origine du fameux cocktail cubain : la volonté d’indépendance de ces îles. Pour se soustraire à la domination de la couronne espagnole les Cubains prennent les armes.
Suite à une campagne d’opinion très forte dans les journaux américains, les États-Unis entrent en guerre à leur tour pour soutenir les Cubains. Surtout après la mystérieuse explosion du USS Maine, couverte de façon très sensationnelle par la presse américaine, et qui a donné la naissance de l’expression « journalisme jaune ». Bref, la presse sensationnaliste et les fake news, ce n’est pas nouveau.
Pourquoi tout ce préambule ? Parce que c’est la raison pour laquelle un Américain s’est retrouvé à la tête d’une mine de fer. Cette mine, très profitable aux Espagnols est donc passée pendant la guerre aux mains des Américains, et du fameux Rockefeller. C’est donc ainsi que Jennings Cox arrive à Cuba pour défendre les intérêts du magnat américain dans la région.
La recette originale du Daiquiri
Surpris par la visite d’amis en provenance des États-Unis, Cox se retrouve dépourvu de gin ! Qu’importe, il improvise une recette à base de rhum Bacardi, fourni par ses employés. Mais le rhum avait encore assez mauvaise presse aux USA, alors il prépare un grand pichet avec de la glace, du rhum, citron vert et du sucre.
La recette plut immédiatement à ses invités ainsi qu’aux 7 ingénieurs qui vinrent soutenir Cox dans son travail en 1908. Les 8 compagnons commandaient d’ailleurs souvent la recette de Cox dans les meilleurs bars de Santiago de Cuba – celui de l’Hotel Venus, et le San Carlos Club.
Comment le Daiquiri a eu son nom
Beachbum Berry, dans son anthologie des cocktails caribéens, Potions of the Caribbean, nous dit qu’il y a deux histoires histoires différentes. Dans la première, c’est Cox, qui après quelques verres de sa propre potion dans un bar de Cuba, se serait exclamé « Appelons-le un Daiquiri ».
Dans la seconde, c’est le barman qui aurait demandé à Cox de le nommer. Mais l’Américain se serait retrouvé à cours d’idée, et c’est le barman cubain qui serait venu à sa rescousse, en baptisant le cocktail Ron a la Daiquiri.
La recette améliorée du Daiquiri
Mais après cette petite divergence, les deux histoires convergent à nouveau. C’est le barman qui aurait eu l’idée de préparer le cocktail au shaker pour servir les verres individuellement, et non pas au pichet comme le faisait Cox. De plus le Daiquiri était servi à l’origine sur glace pilée dans une flûte à champagne ! Et s’est ainsi que la recette du Daiquiri se retrouve améliorée une première fois.
Cox est-il vraiment l’inventeur du Daiquiri ?
Probablement pas. Comme dit en introduction, rhum, citron vert et sucre sont la sainte trinité (d’après Beachbum Berry) du cocktail des Caraïbes. Les autochtones mixaient déjà probablement de l’aguardiente avec du citron vert et du miel ou du sucre, dans un cocktail qui s’appelait la Canchánchara.
Quand on élargit un peu, on retrouve la même recette dans le Ti Punch’ antillais ou la Caïpirinha au Brésil. Les punchs, dégustés par bols entiers aux USA depuis déjà longtemps aux US étaient aussi fondés sur la même structure. Alors quel est l’apport de Cox ?
Premièrement Cox était un socialite new-yorkais dans sa vie d’avant Cuba. Il avait donc probablement été initié aux cocktails, et avait peut-être même connu la fin de l’âge d’or. C’est donc grâce à lui qu’une préparation populaire se retrouve à être servie dans des bars de grands hôtels. De plus, Beachbum nous fait remarquer qu’il y avait un Santa Cruz Sour dans le livre de Jerry Thomas. En plus d’en avoir changé les proportions, Cox a aussi remplacé le citron par le citron vert (lime). Mais surtout, et c’est le plus important, Cox lui a donné un nom qui nous transporte instantanément sous le soleil des Caraïbes, là où Santa Cruz Sour est une description presque technique du cocktail (un Sour, à base de rhum de Santa Cruz).
Si l’acception Santa Cruz Sour avait pris le dessus, on en boirait aussi souvent que des Whiskey Sour, c’est-à-dire quasiment jamais !
La deuxième amélioration de la recette du Daiquiri
Cox préparait son Daiquiri au sucre brun. Ce qui est presque nécessaire quand on le prépare au pichet ou servi sur glace pilée dans une flûte. Et pourtant la recette aujourd’hui demande du sucre blanc. Pour comprendre comment c’est arrivé, il faut rembobiner un peu l’histoire.
Facundo Bacardi, le propriétaire éponyme des rhums était aussi un régulier des mêmes bars que Cox, et s’est servi de la recette pour promouvoir son rhum. Swinehart, un publicitaire américain, engagé par Cuba a repris la recette telle que promue par Bacardi.
Sucre blanc ou sucre roux ?
Cette recette ne spécifiait pas quel type de sucre, et Swinehart a toujours supposé que c’était du sucre blanc. Ce n’est que 25 ans plus tard qu’il a appris que le sucre utilisé par Cox était brun. Terrifié par son erreur, Swinehart a essayé de la réparer. Mais c’est trop tard, le mal était fait. Et surtout, le Daiquiri avait encore une fois été amélioré par cette erreur.
Plus de saveurs de mélasse qui viennent contre-balancer le rhum : cette fois-ci le cocktail sublime le spiritueux, et uniquement le spiritueux ! Parce qu’entre temps, le Daiquiri a encore subi une modification, mineure, mais qui donnera l’avantage décisif au sucre blanc. Il est maintenant servi dans une coupette sans glace pilée. Il n’y a plus de dilution qui continue à s’effectuer dans le verre, et le sucre blanc s’efface donc discrètement pour laisser le rhum briller de mille feux.
Si cette histoire du Daiquiri vous a plu, sachez qu’elle continue avec Hemingway et son Daiquiri préféré.
Quel est le meilleur rhum pour faire des Daiquiri ?
Trêve de considérations historiques, et passons à la mixologie. Mais ces palabres sur l’histoire du Daiquiri vont justement nous guider dans notre choix de rhum.
En effet, on a appris que le premier Daiquiri, préparé à la va vite dans un pichet par Jennings Cox était faire avec du Bacardi. Alors vous allez me dire : go pour le Bacardi ! Malheureusement ce rhum autrefois parfaitement adapté pour le Daiquiri n’est plus que l’ombre de lui-même.
Si vous arrivez à mettre la main sur un Bacardi cuvée Héritage, alors oui, allez-y ! Si c’est autre chose, passez votre tour ! Je vais vous dire quel rhum utiliser pour votre Bacardi
#1 Havana Club 3 años
Pourquoi numéro 1 ? Parce que c’est le seul cubain que vous allez pouvoir trouver, et en plus, de toute la sélection, c’est le plus facile à trouver. Avec la force du groupe Pernod-Ricard derrière, le Havana Club et disponible dans toutes les petites, moyennes et grandes surfaces. Et c’est aussi niveau prix le plus bas de la sélection. Bref, y a pas à réfléchir, pour commencer c’est l’idéal.
#2 Plantation 3 stars
Un peu de chauvinisme n’a jamais fait de mal, et vous allez être bluffé par ce rhum. En effet, comme beaucoup de rhums, il triche un peu : c’est un assemblage de trois rhums légèrement âgés, mais filtré pour lui donner l’apparence d’un petit jeune. Probablement le meilleur en terme de rapport qualité-prix.
#3 Flor de Caña extra seco
J’ai eu un petit coup de coeur pour ce rhum (vieilli 4 ans, mais avec la même astuce que le précédent). Je l’ai découvert chez mon caviste qui n’a que cette référence en rhum traditionnel blanc. Alors puisque je n’avais d’autre choix, je l’ai testé. Et je n’ai pas été déçu. Un peu gras, mais en gardant quand même une certaine vivacité, je me suis fait deux putains de Daiquiri avec !
#4 Don Q Cristal
Aux Etats-Unis, où les produits cubains sont sous embargos, c’est le rhum portoricain qui fait office d’ersatz. Beaucoup plus difficile à trouver dans nos contrées, il est quand même possible de le croiser par hasard chez un caviste ou en ligne.