Le fractional freezing ou solidification fractionnée est une technique de distillation très simple qui se cache derrière un nom compliqué : comme l’eau gèle à une température plus élevée que l’éthanol, on peut abaisser la température d’une bière ou d’un spiritueux pour en solidifier la partie aqueuse, et augmenter la concentration en éthanol dans la partie liquide restante. Et ça ouvre toute une nouvelle palette pour la préparation des cocktails.
Le fractional freezing, une distillation pour les nuls ?
La distillation classique c’est compliqué : l’éthanol s’évapore à une température plus basse que l’eau. En faisant un chauffer un vin par exemple, vous allez faire évaporer tout l’éthanol, et il ne restera que de l’eau dans votre récipient. Il faut un système qui récupère la vapeur d’éthanol et la liquéfie : c’est le but d’un alambic.
Mais pour la solidification fractionnée, c’est l’inverse, l’éthanol restant liquide à des températures plus basses que l’eau, en solidifiant un mélange eau-éthanol, l’eau est plus abondante dans la partie solide (très facile à retirer d’un liquide). Et donc plus d’éthanol dans la partie liquide restante de votre récipient.
Attention aux apprentis sorciers de la solidification fractionnée
Attention, malheureusement un vin ou une bière ce n’est pas que de l’eau et de l’éthanol. Il y a aussi quelques traces d’autres alcools, et notamment le méthanol. Celui-ci est bien plus nocif que l’éthanol (qui est déjà pas mal nocif quand même il faut le rappeler). Heureusement, il a un point d’ébullition encore plus bas que l’éthanol (65°C vs 78°C). Quand on distille on évacue donc les têtes, plus chargées en méthanol, afin de ne pas concentrer outre mesure les mauvais alcools dans le produit final.
Ce filtrage temporel n’est pas possible avec une solidification fractionnée, il convient donc d’être bien sûr de ce qu’on fait avant de se lancer là-dedans. Même Iain Mc Pherson, qui a importé cette technique dans le monde du cocktail se contente de remettre au même degré le distillat obtenu, en remplaçant simplement le volume d’eau gelée par son équivalent en jus de fruit ou en eau gelée issue de la solidification fractionnée d’un autre spiritueux. On apprend par exemple, toujours dans le même article, qu’il a récupéré la partie aqueuse gelée d’un whisky, et l’a ajoutée à un rhum, concentré en éthanol par la même technique.
Le résultat : un rhum de même degré que le rhum initial, mais avec des notes tourbées.
Pourquoi la vodka ne se transforme pas en alcool pur quand on la met au congélateur ?
J’imagine que vous avez déjà mis une vodka au congélateur, et bien entendu, vous n’en avez pas sorti un glaçon d’eau, et de l’éthanol pur. Alors cette histoire de fractional freezing, c’est du pipeau ?
Et non, c’est tout simplement que le mélange eau-éthanol est un mélange homogène. Pour simplifier nous supposons qu’un spiritueux est un mélange eau-éthanol. La vodka par exemple est constituée à 40% d’éthanol et 60% d’eau. Elle ne se comporte pas comme chacun des corps séparément, mais comme un nouveau corps. Le comportement de ce corps dépend de la concentration de chacun des corps qui le compose. Heureusement les chimistes ont fait un diagramme pour nous :
Un mélange contenant 40% d’éthanol gèle à -30°C. À moins que vous n’ayez un congélateur qui descend à cette température, vous n’avez jamais fait geler de vodka ! C’est peu probable sachant que la plupart des congélateurs du commerce sont aux alentours de -18°C.
En revanche si vous avez une bière qui contient 6% d’alcool, vous devriez pouvoir la transformer en un mélange contenant 25-30% d’alcool avec votre congélateur standard ! C’est d’ailleurs comme ça que les Allemands préparent l’Eisbock. La légende dit que c’est en oubliant des fûts de bière dehors en hiver qu’un employé maladroit à découvert cette recette.
Le fractional freezing et les fruits
Mais cette technique ne concerne pas que l’alcool. Ne faites pas ces yeux ébahis, bande d’alcooliques ! Ça marche aussi pour les mélanges eau-sucre. Et oui ! C’est d’ailleurs comme ça qu’on fait les vins ou les cidres de glace. (Oui on est revenu à l’alcool au final, on est comme vous). Le froid faisant geler l’eau dans les fruits, la concentration en sucre augmente. Ce qui donne au final un produit plus sucré et plus alcoolisé.
Une révolution dans le cocktail ?
Oui on est quand même sur un site de cocktail, et le fractional freezing pourrait devenir le nouveau meilleur ami des barmens. Il y a déjà cette technique de swap (échanger les parties aqueuses de deux spiritueux) que nous avons évoqué au début. Mais aussi, et surtout peut-être, en récoltant la partie aqueuse (donc non alcoolisée), les barmen peuvent inclure des saveurs venant de spiritueux dans des cocktails sans alcool. D’ailleurs l’article de Punchdrink nous apprend que plusieurs sont déjà en train de se mettre à la technique. CocktailMolotov prédit qu’on devrait bientôt voir tout ça se multiplier à la carte des bars en 2020 !