Interview de Channa, patron du Loustic coffee shop

Voici un article que j’ai souhaité réaliser depuis un certain temps. On assiste à la montée en puissance des bars à cocktails en France, en parallèle, ce sont les coffee shops, distributeurs de bon café, qui grimpent. Nous allons passer en coulisse d’un des coffee shops parisiens pour un article 99% café ! Au programme, une interview !

 

La devanture

 

Peux-tu te présenter ?

 

Je suis Channa Galhenage, Je suis en France depuis maintenant 11 ans. Je suis originaire du Royaume-Uni. Je suis arrivé en France pour faire mes études en Français, le bon café me manquait. En effet, j’avais l’habitude d’en boire à l’étranger.

 

 

Comment est venue l’envie de lancer le loustic ?

 

Le déclic est venu il y a 5 ans, je me suis dit : y a t-il des endroits où l’on peut boire du bon café à Paris ? C’était après l’arrivée de Starbucks en France. Le processus de lancer mon coffee shop a été vraiment lent, il a mûri, je cherchais des endroits. J’ai fait mes recherches en me disant, il faut monter un établissement pour les gens comme moi qui aiment le bon café mais qui n’en trouvent pas à Paris. Je suis tombé sur Alto café c‘était exactement ce que je cherchais.

 

Les difficultés que tu as pu rencontrer ?

 

Je n’avais jamais entrepris,  je n’avais pas de sous. Je me disais à mon âge, 43 ans, avec la stabilité telle qu’on la connait… Ce qui m’a poussé à monter le Loustic, c’est l’envie de me mettre à mon compte et de partager ma passion pour ce grain. Le lendemain de mon anniversaire, le 12 mai 2009, l’envie m’a pris de lancer mon coffee shop, j’avais 200€ dans ma poche et je ne connaissais rien au point de vue administratif. J’avais lu un article sur Caffènation à cette periode, le propriétaire parlait du café de façon ludique mais en restant très strict sur la qualité du service proposé. Deux jours plus tard, j’ai pris un train pour Anvers, pour aller voir Caffènation. En 2010, j’ai travaillé pour Kooka Boora, à leur ouverture, le week-end, tout en travaillant dans les ressources humaines en semaine, je travaillais 7/7.  Cette longue préparation entre le moment où j’étais décidé et celui où le Loustic a ouvert, m’a permis d’avoir un coffee shop pleinement fonctionnel. Les travaux ont duré seulement 6 semaines.

 

Comptoir optimisé, produits servis mis en évidence.

 

Qu’est ce qui selon toi a été un facteur marquant dans le développement des coffee shops en France ?

 

Le début de Frog Fight a été essentiel dans le développement de la bulle du café à Paris. Un public a été crée pour le monde du specialty coffee.

Autour de 2010, tout le monde parlait de monter son coffee shop à Paris, les actuels Ten Belles, Fondation café.

 

Qu’est ce qui t’a poussé à choisir cet emplacement ? Quels sont les critères incontournables lorsqu’on souhaite se lancer dans l’aventure ?

 

A l’époque en 2012, j’ai eu de la chance de trouver ce lieu, maintenant lorsque je discute avec des pros du monde du café, il semble bien plus difficile de trouver un emplacement bien situé sur Paris convenant aux contraintes d’un espresso bar. Pour être rentable il faut environ 100 clients par jour. Les critères sont de s’installer autour d’un monument. Une surface minimum, ici il y a 45m2. Pas besoin de stocker du café, puisque je commande toutes les semaines afin de garder la fraicheur des grains.

Je n’ai pas de cuisine ici, je n’en veux pas, les produits sont frais, ils proviennent de petits fournisseurs indépendants. Nous sommes fournis par Emperor Norton, Rachel’s Cake, 7PM et livrés tous les jours.

Je veux mélanger la culture française qui est de s’installer dans le café, passer des heures, discuter avec la « coffee culture » qui est la dégustation de bon café.

 

La méthode d’extraction qui te plait le plus ?

 

Ma boisson préférée est l’espresso. En tant que barista, on est là pour chercher l’espresso parfait, c’est la base de tout, ce qu’on appelle dans le milieu de « god shot ». Je suis extrêmement strict sur l’espresso, tout peser, tout mesurer…

Tu ne demandes pas à un sommelier de rajouter du sucre dans le vin, de la même façon tu ne demandes pas à un barista de rajouter du lait dans ton café filtre. C’est dur parfois, mais si on ne fait rien, rien ne change. C’est notre boulot de proposer le meilleur produit qui soit. Ce n’est pas au public de décider, car celui-ci ne sait pas au départ.

 

En action

 

Quel est ton torréfacteur et pourquoi avoir choisi celui-ci plutôt qu’un torréfacteur local ?

 

Caffènation est révolutionnaire, j’avais rencontré Rob en 2009, bien avant de rencontrer l’équipe de Lomi ou celle de Coutume. Je trouve qu’il fait un excellent travail de torréfaction avec une torréfaction assez claire, ce qui permet de conserver les arômes. Caffènation est situé à Anvers qui est le deuxième port d’arrivée du café en Europe. Je les ai visités, ca se compte en km² de surface.

Le café qu’il me vend est même moins cher que les torréfacteurs locaux sans pour autant perdre en qualité. Tout est très soigné, jusqu’à ses emballages, très colorés, façon révolution.

 

Ta clientèle type ?

 

Le public du week end : les voisins.

Je ne voulais pas faire trop de pub.Je voulais fidéliser les voisins du quartier. J’avais lu que les français se plaignaient des coffee shops, que ça parlait trop anglais… Mon but est de partager ma passion avec tout le monde.

Ma clientèle est à 70% française. On peut s’apercevoir que dans la plupart des coffeeshops parisiens le pourcentage de clientèle étrangère est plus important que celui de la clientèle française.

 

Les boissons servies le plus ?

 

L’espresso suivi du filtre puis du café au lait. En été, le café latte glacé prend une place sur le podium. Les gens sont impressionnés par la texture du cappuccino, le « latte art ». Ils aiment les jolies choses, en France on apprécie l’artisanat.

Pour le café, c’est assez paradoxal car nous vivons dans un pays spécialisé dans les produits du terroir et pourtant on boit le café comme un médicament, d’un trait. Je fais l’analogie du café et du vin. Le café est très subtil et il n’a pas juste un goût de café, que chaque terroir se distingue.

Le monde est très similaire à celui du cocktail, ça se développe progressivement, et ca remplacera progressivement les anciens cafés.

Je pense que les jeunes français ont changé, la France est plus internationale qu’avant.

 

Le panier moyen au Loustic ?

 

Entre 7 et 9 euros, nous faisons très peu de marge sur la nourriture étant donné que nous nous fournissons ailleurs. Ça ne me dérange pas que le panier moyen baisse, s’il y a plus de boissons vendues. Un espresso bar à Brooklyn c’est 400 cafés par jour, à NY ou London c’est 600 cafés. 70% est du « coffee to go ».

La culture française est différente, mais mon objectif est de 400 cafés par jour. Les gens viennent de plus en plus pour les boissons. Je souhaite donc augmenter le coté « boissons ». Je pense que d’ici 2020, nous deviendrons le pays numéro 1 du specialty coffee. Les pays anglo-saxons boivent une majorité de boissons lactées. Il faut continuer à expliquer correctement et à proposer de la qualité au point de vue café. Moi je suis un peu radical là-dessus, un coffee geek, je ne cède aucun terrain, je souhaite transmettre mes idées sans manier la langue de bois, dire brusquement ce que je pense et contribuer à changer l’image du café en France.

 

D’où viennent tes idées de déco ?

 

J’ai embauché pour l’occasion l’architecte d’intérieur Dorothée Meilichzon  www.chzon.com (NDLR: Elle a travaillé pour l’Experimental Cocktail Club, le Ballroom, le Prescription Cocktail Club), son talent est de faire beaucoup avec très peu. Tout ici sauf les chaises est fabriqué sur mesure en France.

 

A l’entrée

 

Ta méthode pour réussir un espresso ?

 

Ici au Loustic, nous faisons une pré infusion sous 6 bar de pression qui dure 3 secondes puis on passe à 10 bar pour une vingtaine de secondes. Entre 16 et 18grammes de grains de café moulu, entre 20 et 30 secondes d’extraction au total. Il faut qu’il coule de façon sirupeuse et arrêter l’extraction lorsque ça coule comme de l’eau. On sort normalement entre 30 et 40 ml.

En ce moment on met 91.5° en température d’extraction, cela dépend du type de torréfaction du grain. On tient aussi compte de la température ambiante de la pièce.

 

Ta méthode de traitement préférée et pourquoi ?

 

Je préfère le washed parce j’aime les cafés très droits, très profilés.

 

Tes 3 cafés préférés ?

 

Panama Boqete Lerida, de loin le meilleur café que j’ai gouté.

Mes pays producteurs préférés en Afrique sont le Rwanda et le Burundi.

Les kenyans en ce moment sont aussi excellents.

Le El Salvador Cup of Excellence de cette année était vraiment sublime.

L’étoile montante du café Sud-Américain pour moi est le Pérou. Il y a un coté sirop d’érable que j’adore.

 

Tes projets d’expansion ?

 

Je pense qu’il y a la place pour 150 espresso bars dans paris. Tant qu’il n’y a pas un espresso bar dans chaque arrondissement… Je veux monter encore un ou deux établissements dans paris, si possible un à l’est et un à l’ouest. Des établissements plus petits, avec un focus sur le café. Par exemple un énorme comptoir dans un endroit où il y a du passage. J’ai un très bel exemple, le café Saint José, rue des petits champs. Pas pour leur café mais pour l’endroit et le concept.

 

L’arrière-salle

 

Tes personnages préférés de la scène du specialty coffee ?

 

Gwilym Davies, prufrock WBC 2009 anglais. Ben Townsend, Espresso room à londres. Rob Berghmans, mon torréfacteur.

 

T’intéresses-tu au cocktail ?

 

Oui, mais je suis amateur. J’adore le bon gin, en bon anglais. Les gins artisanaux qui sortent en ce moment sont absolument fabuleux.

 

Réalises-tu toi-même des cocktails ?

 

Non, j’aimerais bien, cela fait partie des choses que j’aimerais bien apprendre.

 

Et pour terminer, tes cocktails préférés ?

 

Le Negroni du Lockwood.

Le Silver cloud

Les cocktails de Carlos Madriz.

J’aime beaucoup les cocktails à base de Gin.

 

 

Merci beaucoup à Channa pour cet entretien, vous pouvez retrouver le Loustic au 40 rue chapon dans le 3è arrondissement.

 

PS: Merci aux propriétaires des différentes photos sans personne dessus, difficile ces derniers temps de trouver le Loustic vide 😉