120 Rhums – Alexandre Vingtier

Jusque-là, nous avons toujours été satisfaits des éditions Dunod en ce qui concerne les spiritueux et les cocktails – vous pouvez d’ailleurs retrouver notre revue de l’excellent livre 101 cocktails mythiques par F. Monti. Un format efficace, adapté aux rafraîchissements ponctuels comme aux orgies de lecture, à la découverte comme à l’approfondissement des connaissances. Aujourd’hui, Cocktail Molotov vous présente un ouvrage qui, loin de déroger à cet héritage, va même pousser plus loin l’originalité du style. Vous découvrirez dans cet ouvrage 120 fiches pour 120 rhums, abordant des techniques de production, de distillation et de dégustation. Vous en apprendrez également plus sur l’histoire des distilleries qui ont marqué leur temps.

Alexandre Vingtier, Crédit photo Julien Blech
Alexandre Vingtier, Crédit photo Julien Blech

120 Rhums, par Alexandre Vingtier, un ouvrage destiné à tous.

Saviez-vous qu’à l’origine, il était coutume en Australie de brûler les champs de cannes à sucre pour faire fuir les serpents, et que l’on retrouve dans certaines vieilles cuvées un goût caractéristique de canne brûlée ? Ou qu’avant d’être une terre de whisky et de bourbon, les États-Unis regorgeaient de petites distilleries de rhum qui importaient en contrebande leur mélasse des colonies britanniques avoisinantes – c’est d’ailleurs en misant sur cet héritage que Owney’s ou Prichard’s ont fait le pari de se lancer respectivement à New York et au Tennessee ! Au-delà des retours historiques, certaines inspirations brassicoles –  comme cette distillerie de rhum japonaise qui s’est implantée près d’une source d’eau très pure, gage de qualité pour la fermentation de la mélasse – témoignent d’un apport des autres breuvages à ce spiritueux. Après la mode des whiskies japonais, celle des rhums nippons ?

L’accessibilité 120 Rhums.

120 Rhums est une réédition de 101 rhums avec encore plus de contenu, d’avantage de détails et de rhums présentés. A. Vingtier est également le co-auteur d’Iconic Whisky avec Cyrille Mald.

Le livre d’Alexandre Vingtier commence par une introduction succincte qui présente son ambition : illustrer l’immense diversité et dynamisme de l’eau-de-vie de canne à sucre avec un tableau de 120 rhums sélectionnés, sans pour autant que celui-ci soit réservé aux initiés. Objectif atteint : loin de réitérer les mêmes poncifs vieillissants qui accablent des rhums jugés “trop doux”, “trop sucrés,” “trop faibles en alcool”, voici une véritable invitation à une découverte exhaustive – y compris des cousins du rhum plus méconnus en métropole, comme la Cachaça ou l’Arrack.

Engenho da Vertente, cachaça traditionnelle
Engenho da Vertente, cachaça traditionnelle

Une partie conséquente de chaque description s’attache en effet à présenter les différentes histoires de chaque terroir, et comment celles-ci ont laissé leur empreinte sur les productions actuelles. De la « Rum Rebellion » australienne qui donne son étiquette au Holey Dollar à l’esclavage colonial en Guyane que commémore La Belle Cabresse, on se plaît à reprendre l’histoire du commerce globalisé à travers le prisme de la canne à sucre. On se rappelle aussi que si un terroir volcanique est gage de fertilité, une distillerie martiniquaise comme Depaz a mis presque 20 ans à surmonter la terrible éruption de 1902 pour que nous puissions aujourd’hui profiter de leur rhum agricole.

A. Vingtier pour une approche transversale du rhum, rum, ron.

Mais au-delà des terroirs, A. Vingtier attache aussi une grande importance aux personnes qui sont derrière le produit. On y découvre par exemple l’histoire de Marine Lucchini, rescapée du tragique tsunami de 2004 en Thaïlande, qui a décidé d’y ouvrir la distillerie de Chalong Bay avec une grande colonne Armagnacaise.

Ou celle, plus connue des épicuriens français, de Nicolas Julhès. Belle initiative que celle d’une distillerie située dans Paris intra-muros, financée en partie de manière participative et qui propose aujourd’hui de nombreux spiritueux expérimentaux !

Nicolas Julhès, entouré de cuivre !
Nicolas Julhès, entouré de cuivre !

Et comme les fondateurs ne sont pas les seuls à œuvrer pour le produit, A. Vingtier accorde la belle part à des hommes comme Alexandre Koiransky, qui a décidé d’ouvrir la première société au monde spécialisée dans les spiritueux issus du commerce équitable au Belize, nommée Fair. Avec plus de 200 règles à respecter pour obtenir le label, la bureaucratie hexagonale n’a qu’à bien se tenir. Au fur et à mesure de chaque page, on a le sentiment de plonger dans l’ambiance d’une visite chez le producteur, qui prend le temps de nous raconter l’histoire de la distillerie, les défis à surmonter, la philosophie insufflée dans la bouteille.

Alexandre Koiransky, à l'origine de Fair Vodka
Alexandre Koiransky, à l’origine de Fair Vodka

 

Des précisions en veux-tu en voilà !

Les plus experts d’entre nous ne seront pas en reste. Avec chaque présentation de rhum vient celle de sa méthode de distillation et de vieillissement. On découvrira par exemple la Cuvée de l’An 2012 de HSE ; un rhum blanc agricole qui a reposé 2 ans en cuve d’inox. Couplé avec une dilution très progressive en plusieurs mois, le procédé offre donc une suavité très élégante. On s’attardera aussi sur les différentes sortes de cannes à sucre (bleue, cannelle, rouge, zizak, cristalline) utilisées par la distillerie martiniquaise Neisson, ou sur l’étrange assemblage du 7 Golden Age de Banks, qui n’utilise pas moins de sept mélasses d’origines différentes : Jamaïque, Guyana, Barbade, Guatemala, Panama, Trinidad, et enfin Java. Oui, Java ; l’occasion aussi pour A. Vingtier de nous rappeler que l’Indonésie est probablement la terre d’origine des eaux-de-vie de mélasse, avec l’arrack de Java (98% mélasse et 2% de riz rouge), bien antérieure à la colonisation hollandaise.

Santa Teresa 1796, rhum du Venezuela comme le célèbre Diplomatico !
Santa Teresa 1796, rhum du Venezuela comme le célèbre Diplomatico !

 

Toujours en quête de dévoiler au lecteur la diversité des méthodes de production, 120 Rhums nous présentera aussi des assemblages surprenants, comme le Rhum Vieux du guadeloupéen Montebello, qui utilise des rhums agricoles, blancs, ambrés et vieux – A. Vingtier a même milité pour la création d’un label spécial, malheureusement refusé. Certains seront également surpris de découvrir que la tradition du Gran Reserva Solera 23 de Matusalem se base aussi sur une macération de prunes et de gousses de vanille, qui devrait normalement l’exclure de l’appellation « rhum » stricto sensu.

Vous l’aurez compris, ce livre s’adresse à tous types d’amateurs de rhums, et se place bien au-delà d’un simple guide de dégustation. Il propose au contraire un voyage assez complet dans l’univers d’un spiritueux qui a sa place sur le podium des plus consommés en France. Il ira même jusqu’à concilier breuvage et dépassement de soi pour les plus audacieux, en posant les bases d’un sport d’un genre nouveau : la « Strohttinette » ! Quand on sait que le Stroh est autrichien et peut titrer à 80%, on visualise vite comment le concept peut devenir une alternative à la luge trop galvaudée…

Aloïs G. & Baptiste B.