Le Moonshiner, c’est LE bar qui est caché derrière la chambre froide d’une pizzeria. Voilà, je l’ai dit. C’est comme ça que tout le monde en parle et c’est sans doute à cause de ça qu’il sera connu. Maintenant vous le savez : quand vous vous pointerez à la Pizzeria Da Vito, vous pourrez sans hésiter foncer vers la porte du fond, traverser la chambre froide, ne pas essayer de toucher les jambons suspendus (c’est dégueulasse pour les autres !) et atterrir dans le bar.
Pourquoi est-ce que je tenais tant à me débarrasser de cette histoire de bar caché ? Parce qu’on va vous vendre ça comme une idée géniale et originale. Géniale, oui. Originale, non. Des bars cachés, il en existe déjà à Paris (la Candelaria par exemple), et des bars cachés de manière tordue, il en existe encore plus dans le monde (par exemple le PDT à New York caché derrière une cabine téléphonique ou la Bodega Negra à Londres, dans un sex-shop, pour ne citer que ceux-là). Mais à part quelques geeks du cocktail, dont nous faisons partie, peu de gens en France connaissent l’existence de ce concept.
Je partais dans l’idée que je savais déjà ce que j’allais trouver en allant au Moonshiner. J’étais presque énervé d’avance. Et puis une fois que je suis entré dans ce bar, au lieu de me contenter de me dire que c’était effectivement comme je l’avais imaginé (à part le plafond, très beau plafond), je me suis demandé : pourquoi est-ce que je savais que j’allais trouver des lumières très tamisées et des fauteuils clubs ? Pourquoi est-ce que j’étais sûr que je trouverai derrière le bar, un barman étranger, avec des tatouages et une casquette ? Pourquoi est-ce que j’aurais mis ma main à couper qu’il y aurait du Carpano Antica Formula à la carte (ou du Suédois Dolin, ou du sirop de thé maison, ou du …) ? Je n’en voulais pas au Moonshiner en particulier, après tout ils ne sont peut-être pas les premiers dans le genre, mais vu la mode des cocktails et la vitesse à laquelle les ouvertures s’enchaînent, ils ne sont certainement pas les derniers. Non j’en voulais à tous les bars à cocktails d’être aussi identiques dans leur volonté d’être différents. J’ai donc cherché à comprendre.
Je me demandais toujours quel était l’intérêt de ressembler aux douze autres bars reconnus comme « bons » bars à cocktails à Paris. Mais l’intérêt n’est pas tellement d’être comme les bons, il est surtout d’être très différents des mauvais, des 3000 bars de Paris qui prétendent savoir faire des cocktails (en tout cas ils l’écrivent en gros sur leurs devantures), et qui vous servent une soupe infâme de spiritueux. Ceux-là aussi, je sais à quoi ils vont ressembler avant d’y rentrer : la musique sera très forte, les spiritueux de faible qualité, la lumière agressive et le bar bondé. Ouïe, goût, vue et toucher, tous vos sens seront mis à mal. Et oui, tous, il y a bien des chances que l’odorat le soit aussi.
C’est pourquoi l’univers du bar est très manichéen aujourd’hui : les bars à cocktails ont des lumières tamisées, on peut discuter sans hurler par-dessus la musique, les drinks sont bien exécutés et en général on trouve toujours un petit carré tranquille. Impossible de confondre avec les autres, qui sont tout le contraire. Mais déjà certains prennent un chemin entre les deux mondes. Après tout, on peut vouloir boire un cocktail, tout en dansant dans une atmosphère électrique, par exemple. C’est un peu le cas au Glass, ambiance mini-boite de nuit, et cocktails by La Candelaria. C’est tout à fait acceptable.En revanche, il faut redouter le jour où quelqu’un comprendra qu’en cachant son bar derrière un marchand de fruits et légumes et en investissant un peu plus dans la déco plutôt que dans quelques tables Ikéa, il pourra vendre de la merde beaucoup plus cher à des personnes croyant avoir trouvé le spot du siècle.
Bref j’aurais encore des tas de choses à dire sur le marketing des bars en général et des bars à cocktails en particulier et sur plein d’autres sujets connexes (vous ne trouvez pas que depuis la vague « bistronomie » beaucoup de restaus se ressemblent ?), mais je squatte un peu trop l’article du Moonshiner, et c’est quand même de ça qu’il est question. Alors puisque vous avez déjà lu tout ça sans trop râler, je vais vous donner rapidement ma réponse : le Moonshiner est un bon bar. Les cocktails sont très bons, bien exécutés, et la carte équilibrée : j’ai pu en goûter quatre, et il y en a autant encore qui m’auraient bien fait envie, sans compter la liste longue comme le bras de whiskies.
Tout d’abord ce qui m’a surpris, avant même de commander mon premier cocktail, c’est leurs prix : ils vont de 6 à 14 €, ce qui est quand même un grand écart pour un bar à cocktail. J’ai essayé le punch du jour (6€) : gin, citron, absinthe, citronnelle. Très rafraîchissant, avec un goût uniforme si ce n’est une finale dominée par la réglisse de l’absinthe, et je salue le choix de ne pas avoir pris une absinthe trop anisée. J’ai pu tester aussi le Number 6 grâce à mon acolyte du soir, épicé (c’est le gingembre), il donne une première impression de chaleur qui est vite cassée par le zeste de combava, extrêmement puissant et qui importe un bon équilibre à ce cocktail. Je pense que c’était mon préféré. J’ai été un peu déçu par mon Safran Julep : il fallait vraiment faire un effort pour trouver le safran. Au moins j’ai pu profiter du Barbancourt 8 ans, que je ne connaissais pas, mais qui m’a fait une bonne impression. J’ai fini par un P. Galor Martini. Le premier mot qui m’est venu à l’esprit est « élégant », et c’est comme ça que je qualifierais ce cocktail. La deuxième chose, c’est qu’il est très amer (Cynar et Dandelion Bitters), et qu’il n’est pas forcément à mettre dans toutes les bouches.
En conclusion, on peut dire que Paris compte un bon bar à cocktails de plus, ce qui n’est pas pour nous déplaire. L’équipe en place a l’air sérieuse et rigoureuse, mention spéciale à Marilou, qui m’a donné l’impression d’avoir un regard assez lucide sur l’évolution de la scène cocktail. L’idée du frigo, la qualité des drinks plus quelques citations dans des newsletters branchées ou des blogs à la mode, il n’y a guère que la situation géographique qui pourrait jouer des tours au Moonshiner, que j’aurais plus imaginé dans le Marais que vers Bastille.