Quand les institutions publiques produisent de l’Armagnac …

Comment en est-on arrivé à ce que le Conseil Général des Landes devienne propriétaire et gestionnaire d’un domaine d’Armagnac ? Les élus du département étaient peut-être jaloux de leurs collègues de l’Assemblée Nationale, et du débit de leur buvette … L’équipe de Cocktail Molotov a enquêté sur les traces du Domaine d’Ognoas, de ses alambics historiques – dont l’un est inscrit au patrimoine des monuments historiques –, de ses réserves forestières qui  lui fournissent les tonneaux, et de ses vignes pour le raisin. Avec tous les ingrédients réunis à portée de main pour la réalisation d’un Armagnac de terroir, le Département a de quoi s’amuser !

La chasse gardée du Département des Landes, entre ses forêts, ses vignes, et ses alambics

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« Chais des Anges »

L’histoire commence en fait avec un domaine seigneurial sans histoire, rattaché au vicomté de Marsan depuis la fin du XIe siècle. En 1770, un petit bourgeois d’origine modeste et enrichi grâce au négoce se met en tête d’acquérir des terres pour offrir titres et notabilité à son nom, et prend possession du domaine. C’est à cette époque que la production d’eau-de-vie à Ognoas est attestée pour la première fois. En 1847, le dernier de sa lignée meurt sans descendance, et en profite donc pour s’acquitter de ses péchés en léguant une grande partie de son patrimoine à des institutions religieuses. Le diocèse local accepte bien volontiers le Domaine  – il y avait déjà le sang du Christ, pourquoi se priver des larmes du Christ ?

Dommage pour eux, la loi de Séparation de l’Église et de l’État de 1905 transfère d’office la propriété des 650 hectares du domaine au Département, sans passer par la case notaire !

Un duo d’alambics de compétition

Et, bon, quitte à réquisitionner les terres, autant ne pas se priver du trésor du domaine : le plus vieil alambic de Gascogne (selon les dires du département !), datant de 1804 ! Utilisant la technique de  distillation en colonne, à l’époque très moderne, il a été perfectionné au gré des années, et est toujours en activité – il fournit grosso modo un bon tiers de la production.

 

Alambic de 1804

Alambic en colonne de 1804, inscrit au patrimoine des monuments historiques depuis 2006

On appréciera bien-sûr son originalité et sa robustesse d’antan, digne du vieux réfrigérateur de votre grand-mère qui marche toujours depuis 35 ans. Un bon dessin valant mieux qu’un long discours, la distillerie affiche juste à côté un petit graphique qui permet d’expliquer quels sont les différents composants et leur positionnement :

Charte Alambic

Graphique explicatif du fonctionnement de l’alambic

Et à Cocktail Molotov, on trouve même qu’une bonne vidéo vaut encore mieux qu’un bon dessin, surtout quand elle est faite par la profession elle-même :

 

Et maintenant que vous savez tout sur la distillation armagnacaise, autant vous présenter aussi le deuxième alambic de la distillerie, datant de 1936, et lui aussi toujours en activité :

Alambic SIER

Alambic SIER de 1936, transporté de village en village. « Jamais sans mon alambic ! »

Et oui, face au mastodonte de 1804, il fallait bien un modèle « de poche » tournant au gaz pour emporter en voyage ! Et il faut l’avouer, il y a quelque chose d’assez charmant à imaginer le distillateur faire la tournée des domaines viticoles du coin avec son cheval pour aller distiller directement sur place. Malheureusement pour les touristes en mal de sensations fortes, il a été fixé au sol en 1999 !

Un terrain bien valorisé

L’avantage d’être propriétaire de 650 hectares de forêt et de vignes autour de sa distillerie, c’est aussi de pouvoir se procurer directement le raisin et le bois nécessaire aux tonneaux, ce que le Département ne manque pas de rappeler pour affirmer sa volonté d’être une vitrine du savoir-faire régional.

350 hectares sont en effet dédiés à la forêt, qu’un tonnelier local viendra inspecter pour sélectionner les arbres qui deviendront les précieux contenants. Il lui faudra 10 heures de travail pour construire un tonneau de 420 litres !

Côté raisins, le domaine possède 50 hectares de vignes, composée des cépages Folle Blanche, Ugni Blanc et Baco 22A, qui alimentent leur production de 500 hl d’eau-de-vie annuelle.

Paysage

Au second-plan, les vignes ; en arrière-plan, la forêt

Avec ses rendements élevés et une forte acidité, l’Ugni Blanc ne convient pas vraiment à la production de vin, mais se révèle idéal pour la distillation – c’est d’ailleurs aussi le cépage roi du Cognac

Et le résultat ?

La traditionnelle dégustation post-visite s’effectue dans la salle dédiée du château. Plusieurs fûts trônent sur le côté : 2004, 1994, 1976 ! Et nous découvrons qu’ils ne sont pas là pour agrémenter la décoration et les trois médailles d’or au Concours Général Agricole 2015, puisque la dégustation s’effectuera directement en sortie de fût ! L’expérience est toujours plaisante, surtout sur des vieux fûts.

Avant d’en arriver là, la distillerie nous présente d’abord le vin de liqueur régional, à savoir le Floc de Gascogne. Disponible en blanc et en rosé, et réalisé en mélangeant un tiers d’Armagnac avec deux tiers de moût de raisin – surtout du Colombard pour la version blanche, et du Cabernet Franc / Cabernet Sauvignon pour la rosée –, il s’agit de l’équivalent local du Pommeau de Normandie (Calvados) ou du Pineau des Charentes (Cognac). Servie très fraîche avec glaçons, la version rosée s’avère séduisante pour un apéritif et assez proche d’un pineau. On sature en revanche plus rapidement de la version blanche, par sa texture lourde et sucrée, et des arômes un peu bruts de décoffrage.

Côté eau-de-vie, la dégustation en sortie de fût impose de les imaginer plus aérés. À ce titre, le fût de 2004 en écœure quelques uns dans la salle par son retour d’acidité. Les plus vieux millésimes, surtout après une aération, offrent des saveurs intéressantes de fruits, de cire de bois, de vanille, de pruneau, et de miel. Et sur les vieilles références, on retrouvera aussi l’arôme de rancio.

Bouteille

Bouteille du Domaine d’Ognoas

Finalement, la visite du domaine d’Ognoas et de ses vieux alambics, entre ses vignes et ses forêts, fait un peu penser à une chanson de Jean Ferrat (« les vignes, elles courent dans la forêt …« ). Un très bon aperçu du savoir-faire régional, dont la qualité ne rivalise certes pas avec les grands cognacs, mais dont les prix non plus : en boutique, comptez 60 à 70 euros pour un 1992 ou 1996 mis en bouteille cette année.

Et, puisqu’on vous a mis l’eau à la bouche, justice réclame qu’on vous laisse sur une petite vidéo de Jean Ferrat gambadant joyeusement dans la montagne ardéchoise :

https://www.youtube.com/watch?v=HXch1X0XaJ0

 

Infos complémentaires

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