Interview de Gaël Caté, consultant en spiritueux

Si comme nous vous aimez les spiritueux vous n’avez pu manquer ce personnage au détour d’un des nombreux salons qu’il anime. Si vous êtes un vieux de la vieille vous avez probablement profité de ses conseils à la boutique de la maison du whisky.

gael

Salut Gaël, peux-tu nous en dire davantage sur le cheminement de ton parcours?

Je me suis découvert une passion pour les choses qui se dégustent vers 16-17ans. J’ai commencé par la bière. J’essayais de me procurer le plus de bonnes bières possibles, je lisais des livres québécois sur le brassage, ceux-ci sont très réputés et il existe une centaine de micro brasseries rien qu’au Québec.

J’ai donc brassé un peu de mon propre chef.

Puis un peu plus tard, vers 22-23 ans  avec un petit groupe d’amis, nous nous sommes intéressés au bon whisky, nous achetions nos bouteilles en commun ce qui réduisait la note et permettait de partager son expérience. C’est ainsi que j’ai commencé à me construire une « bibliothèque » de dégustation de spiritueux.

En parallèle, j’appréciais la photographie et j’ai beaucoup appris dans ce domaine en entrant chez Fujifilm. Sur mon temps libre, je me suis mis au vin, avec une approche beaucoup plus technique cette fois.

Avec comme seuls bagages mes connaissances d’amateur de spiritueux et ma passion pour la photographie, je me suis fait embaucher en janvier 2007 par La Maison Du Whisky (LMDW) à la boutique historique rue d’Anjou à Paris. J’ai démarré en tant que conseiller de vente, j’effectuais également les packshots des produits que l’on vendait. J’ai pris du plaisir à conseiller des milliers d’amateurs, à déguster plusieurs milliers de whiskies au cours des 5 ans passés là-bas. Puis j’ai participé à la mise en place et ai obtenu le poste d’assistant manager à la boutique d Odéon qui venait d’être créée. Au bout de 2-3ans j’ai eu la chance de bifurquer sur tous les autres spiritueux et la mixologie, en partie grâce à Alexandre Vingtier qui a développé le commerce d’autres spiritueux à LMDW.

Finalement en octobre 2012 je rejoins la maison Julhes pour apporter mon savoir-faire à leur côté cave. Je suis désormais consultant en spiritueux à mon compte. Actuellement je suis principalement brand ambassador pour Suntory.

Edit du 22/02/2020 (wow ça fait beaucoup de de 2 et de 0) : Cette interview date un peu, et maintenant Gaël a ouvert une cave à Montfort L’Amaury : https://lescoqsduvin.fr/

Des projets d’extension ?

Non mais j’aimerais bien étendre mon activité à l’enseignement de mon approche des spiritueux auprès des jeunes apprentis barmen d’écoles d’hôtellerie.

J’ai recommence à démarcher les grands groupe leader de l’industrie pour voir en quoi je peux leur être utile, cependant n’ayant pas été formé au marketing… mais peut-être suis-je trop spécialisé pour leur demande.

Idéalement, je serai là pour former principalement les commerciaux. Il y a je pense un bon travail à faire sur la formation interne de ces grands groupes (Rires)

Peut-on revenir sur ton statut de brand ambassador ?

En mai 2013, officiellement demandé par Keita Minari, manager de la marque pour l’Europe, je viens en renfort pour Yuko Nonaka. Il y a pas mal de travail, je viens donc l’épauler sur la formation des animateurs de Suntory, en collaboration avec Laurent Perrier qui est le distributeur de Suntory en France. Mon travail pour eux consiste également à l’animation des stands Suntory dans les caves et les salons.

Sacré Bill !

Peux-tu nous en dire plus sur les cours que tu as donné ?

Bien sûr, J’anime trois cours whiskies, intitulés découverte, whiskies du monde, ainsi que Premium. Chaque cours bénéficie d’un panel de cinq  whiskies dégustés au cours de deux heures d’échange où chacun partage son avis sur ces spiritueux. Par les whiskies sélectionnés j’essaye de créer un chemin historique permettant d’amener des anecdotes et des points historiques importants dans la chronologie de ce spiritueux.

Bien entendu pour justifier davantage la plus-value d’assister à mes cours, les flacons goûtés ne sont pas disponibles en grande surface, certains proviennent de distilleries fermées et donc en quantité ultra limitée. De plus le même verre servi en bar coûterait plusieurs dizaines d’euros.

La crème de la crème !

J’anime également depuis peu de temps un cours sur le Rhum, toujours sur le modèle du cours sur le whisky. J’y présente Rhum Rhum, Demerara 14 ans de chez Rhum nation, Rumbar, ces rhums qui ont été faits pour faire des assemblages. C’est ce qu’on appelle le grand arôme, ou dunder en Jamaïque, il sert à aromatiser d’autres Rhums ou les pâtisseries.

J’ai fait ce cours de rhum parce que les français pensent connaitre le rhum dans sa globalité en s’intéressant seulement au rhum des iles françaises. Le rhum agricole français n’a commencé à se développer qu’aux débuts du 20éme siécle . Contrairement aux autres rhums faits à base de mélasse, résidus de sucre raffiné.

Il faut savoir qu’à la Barbade ou la Jamaïque, ils font du rhum au moins depuis là seconde moitié du 17éme  siècle.

Je présente également le Savannah 5ans, version spéciale, à laquelle j’ai modestement participé. Ils avaient soumis à LMDW des échantillons de deux Savannah de  cinq ans dont un avec un certain pourcentage de rhum grand arôme. Un collègue de l’époque m’avait gentiment sollicité pour choisir la version finale.   On a choisi ce dernier car il était très aromatique, et très plaisant à boire.

Et pour finir le Caroni 12 ans, pour faire gouter aux gens un rhum d’une distillerie qui n’existe plus.

J’ai délibérément choisi de faire un cours avec des produits inconnus du grand public, et ai évité la mode des rhums très doux, parfois sucrés à hauteur de 45gr/L. Ce qui en fait  plutôt une liqueur.

C’est un phénomène qui frappe particulièrement les Rhums : on ne sait pas ce qui se trouve vraiment dans de nombreuses bouteilles célèbres. Ils peuvent également y ajouter des épices, en faire un rhum arrangé, puis l’assembler avec le restant du rhum.

Que de bonnes choses pour le cours de Rhum !

Tes Personnalités les plus influentes ?

Dave Broom pour son approche pointue et sa couverture du rhum.

Serge Valentin, pour le travail incroyable qu’il accomplit, mais tout en gardant un ton humoristique.

Carlos Madriz, j’ai appris plein de choses avec lui, c’est un barman de très haut niveau.

David Wondrich avec ses livres ainsi que ses articles dans Esquire, ses travaux m’ont beaucoup aidé dans mes recherches.

Dans l’ordre: S. Valentin, D. Broom, C.Madriz, D.Wondrich, on sait donc que Gaël aime les poils !

Tes deux cocktails préférés ?

Manhattan et PDT Mezcal Mule, sorte de Mezcal Mule avec de la purée de fruit de la passion.

Tes distilleries préférées ?

Ardmore, Hakushu, Karuizawa, Clynelish et Impérial. J’aime ces distilleries pour leur profil aromatique étonnant. En ce moment j’ai un petit coup de foudre sur Impérial, elle vient d’être rasée par Pernod-Ricard qui va faire pousser une distillerie moderne sur le site.

Ton expérience la plus impressionnante au cours de ta carrière ?

La visite d’Hakushu pendant mon voyage au Japon, c’est une distillerie que j’aime énormément.

Un paysage Hakushu dehors !

Ton meilleur souvenir ?

Le voyage avec l’équipe de LMDW sur l’ile de Jura.

Pour résumer, après une alerte à la bombe à Roissy et tentative d’attentat quelques jours auparavant à Glasgow, on s’est retrouvé à faire Paris-Londres, Londres-Glasgow et on était supposé faire Glasgow-Islay en avion, on a terminé par prendre un petit bateau qui nous a amené à 4 h du mat sur l’île de Jura.

Pret à tout pour boire un coup !

Constates-tu la flambée des prix dont parlent les particuliers amateurs de whisky ?

Parlons d’un whisky qui parle souvent aux amateurs, la distillerie de Port Ellen. En 2007, une bouteille de Port Ellen officielle coûtait 150€ et en 2011, était à 350€ pour les OB (Embouteilleur Officiel). Actuellement, on les trouve à 1000€. Prenons le cas des Brora, il y a quelques années étaient à 300-350€, pour une distillerie fermée de 30ans, c’était un prix normal. Après à 1000€, le prix actuel est « moins » normal, mais en même temps les stocks s’amenuisent… Il reste tout de même de nombreux amateurs, financièrement à l’aise, pour ouvrir des bouteilles qu’ils achètent à ces prix-là.  Il reste également les amateurs qui partagent des bouteilles.

Ton avis sur des concepts tels que Sipeasy ?

Je trouve ça vraiment bien, parce que ça pousse les gens à se prendre en main. Y a un côté ludique à faire des cocktails, un peu comme de faire de la cuisine. Tu crées ta boisson, et elle change à chaque fois. Quand tu veux vraiment vendre de l’alcool et éduquer les gens, c’est par le cocktail que tu y arrives. Les grands groupes sont difficilement capables d’innover selon lui.

Il faut parler également de leurs innovations avec par exemple le Gutenberg Project, qui sont des petites boites en aluminium qui contiennent les spiritueux et qui sont branchés en USB et qui permettent avec une application IPad de se faire des cocktails chez soi. Ça marche un peu sur les plates-bandes de Sipeasy mais sans la démarche premium. Ils veulent changer le mode de consommation. Ce qui fait que les gens aiment faire des cocktails c’est qu’ils mettent la main à la pâte, ils sont assez passionnés pour faire ça dans les règles de l’art, là tout le travail est simplifié.

Peux-tu me donner une explication à un phénomène bien connu des amateurs à savoir le «French whore’s perfume » ?

Bien sur, il s’agit d’un parfum de lavande , de violette chimique caractéristique de certains Bowmore mis en fut dans les années 80. On a longtemps pensé à des raisons loufoques. Cela venait peut-être  de la variété de levures utilisée pour la fermentation car on a parfois retrouvé ce goût caractéristique dans les Auchentosan et Glen Garioch  qui partageaient les mêmes souches. A priori c’était principalement entre 1982 et 1989.

Et pour finir tu avales ou tu craches ? (rires)

Je crache toujours. Ça m’arrive même de recracher chez moi. Quand ça fait longtemps que tu fais ça et que c’est ton boulot, t’es obligé. Cependant certains professionnels avalent toujours un petit peu car ils ont l’impression de manquer quelque chose . Il faut savoir aussi que le fait de cracher peut être à la longue nocif pour la bouche et plus précisément la langue car tu gardes souvent  plus longtemps le spiritueux en bouche.

Merci encore Gaël pour nous avoir accordé du temps pour répondre à nos questions.