Cocktail Protagonist : Timothée Prangé

Nous poursuivons aujourd’hui une série d’interviews consacrés aux figures montantes du cercle très fermé du monde du cocktail parisien. Bar-tenders, Investisseurs, bloggeurs, producteurs, ils sont jeunes, dotés d’une culture cocktail aussi cosmopolite que pointue. Ce sont eux qui révolutionnent aujourd’hui la scène parisienne. Découvrez ces portraits atypiques en exclusivité sur CocktailMolotov dans les semaines à venir.

 

Aujourd’hui, le 2ème article de la série est consacré à Thimothée Prangé, jeune propriétaire du Little Red Door

 

Intro

 

« Aujourd’hui, ça va parler business ». C’est ce que je me suis dit en poussant la porte d’entrée du Little Red Door, le petit speakeasy de la rue Charlot pour interviewer Timothée Prangé, son propriétaire. Timothée, je ne l’avais jamais rencontré, mais j’en avais entendu parler. Quelqu’un d’original, pas un ancien bartender issu du sérail comme beaucoup d’autres. Un amateur de spiritueux bien sûr mais aussi un entrepreneur, un vrai, avec la réputation de ne pas vraiment coller à l’univers qu’il fréquente. Réputé être plus orienté chiffres et marketing, que mixologie pure. Le premier qui aurait décidé de faire du cocktail français un business à part entière.
Alors quelques minutes après, lorsqu’installé dans l’un de ces immenses mange-debout capitonnés cramoisis qui s’alignent le long du bar, je découvre un jeune homme à l’allure discrète, sur la réserve, presque timide, il y a forcement un peu d’étonnement.
On se dit alors que le garçon ne ressemble pas au personnage et qu’il va falloir creuser pour comprendre…

 

CM : Timothée, il y a 3 ans, personne ne te connait dans le monde du bar parisien. Aujourd’hui, tu es à la tête d’un des plus célèbres speakeasies de la capitale qui vient d’être élu 39ème meilleur bar du monde. Que réponds-tu à ceux qui disent que le LRD est un pur produit marketing monté par un business man pour surfer sur la vague des speakeasies?

 

(Il sourit). Je leur dis de venir goûter nos cocktails voir s’ils ont le goût du marketing !
Contrairement à ce que la plupart des gens croient, je ne sors pas de nulle part et tout n’est pas arrivé du jour au lendemain. C’est vrai, je ne viens pas du monde de la nuit parisienne. Mais le LRD project, c’est un projet qui a muri pendant de longues années dans ma tête.
Si je reviens sur les origines, j’ai eu la chance de grandir dans une famille où on aime le bon vin. J’ai donc été initié au plaisir des spiritueux dès l’enfance.
Ensuite, même si c’est vrai j’ai finalement suivi un parcours scolaire classique (classe prépa bio puis école d’ingénieur agronome à Lille), j’ai gardé ce goût spécial pour le monde des spiritueux. J’ai ainsi très vite décidé de diriger mon parcours professionnel vers ce secteur. Mon premier stage a été réalisé chez Merlet, le célèbre producteur de Cognac. J’y ai découvert et apprécié un entreprise dotée d’un esprit de famille, dirigé vers l’artisanat et la transmission du savoir.

 

Le second, c’était chez Listel, le producteur de rosé provençaux, une entreprise où le carcan hiérarchique est très fort et où la prise d’initiative est peu mise en valeur.
Ces stages ont ainsi servi de révélateur : peu enclin à accepter les règes hiérarchiques, désireux de retrouver l’atmosphère familiale et bon enfant de Merlet, j’ai senti monter en moi le désir d’entreprendre. Je me suis donc inscrit en master entreprenariat à l’ESC Toulouse pour parfaire ma formation et me donner toutes les clés pour monter mes futures affaires.
Mon stage de fin d’étude s’est déroulé chez 8ème Monde en tant que commercial. J’y ai compris la puissance des groupes face aux petits commerçants et leur pouvoir de négociation.
C’est à la fin de ce stage en 2009 que le grand virage s’opère. Je fais la connaissance de Laurent Gréco, le mojitologue, et nous nous associons pour développer ce qui deviendra le « mojito lab ». Dans l’ombre, au côté de Laurent, et dans mon rôle de conseil et de business developper, je participe à créer ce qui a été et qui est toujours un énorme succès. Dès cette époque, l’objectif est clair, apprendre pour pouvoir un jour créer mon propre établissement. Au cours de cette période, je me rends néanmoins compte des nombreuses barrières à l’entrée de ce business spécifique. Et en premier lieu, le coût d’investissement initial, qui se compte en centaines de milliers d’euros.
 

Le Little Red Door est le fruit non seulement d’une longue réflexion mais aussi d’un travail d’apprentissage sur le terrain. Tout sauf un produit marketing !

 
En 2011, je pense toutefois avoir les appuis, la crédibilité et la maturité suffisants. En fin de mission au Mojito Lab, je quitte l’équipe avec l’idée de lancer le projet LRD.
Cependant, j’ai conscience de mon manque d’expérience de terrain et des difficultés que cela pourrait engendrer.
Ni une ni deux, je me fais embaucher en tant que serveur par l’Experimental Cockail Club. Pendant presque un an, j’apprends les bases du métier, dans la meilleure école qui soit auprès de la jolie Gladys notamment. En parallèle, je recherche les appuis financiers et l’emplacement pour ce qui deviendra le Little Red Door.
Comme vous le voyez, Le Little Red Door est le fruit non seulement d’une longue réflexion mais aussi d’un travail d’apprentissage sur le terrain. Tout sauf un produit marketing !

 

On en vient donc au LRD project. Peux tu rentrer un peu dans le détail du concept, de l’organisation, du financement ? Ca n’a pas du être facile.

 

Rien n’est facile dès qu’on parle de gros sous (il sourit). Vous savez, tous les bars qui fonctionnent à Paris sont soutenus par des investisseurs puissants. Moi c’est différent. Pour espérer monter le projet il fallait trouver des centaines de milliers d’euros. J’ai du aller chercher les fonds nécessaires à la pioche dans mon entourage. C’est ce qu’on appelle la « Love Money ». Sans cela, sans eux, rien n’aurait été possible. Et ce n’est pas pour cela que nous n’avons pas eu de sueurs froides !
J’ai eu aussi la chance de rencontrer Dotan, mon associé qui est très clairement le meilleur recrutement que j’ai pu faire. Américano-israélien, sorti de la fac américaine de Paris, il a eu divers expériences en France en Israël et aux US. Il a aussi été le manager du Moose un pub canadien situé à Odéon. C’est lui qui m’a apporté les clefs qui me manquaient pour réussir.
Concernant l’idée, c’est venu assez naturellement. Il y a eu très tôt cette idée d’un passage vers un monde merveilleux, idée que l’on retrouve dans Alice au Pays des Merveilles. Vous poussez la porte, et vous vous retrouvez dans un monde différent, chaleureux, accueillant fait pour vous détendre et vous transporter.
Ensuite on a travaillé la carte. Chacun des cocktails de la carte initiale a fait l’objet d’un travail approfondi. Il y avait un goûteur professionnel chargé d’identifier les saveurs et de proposer des améliorations. On avait le également parti pris de jouer sur les épices. On a réussi je pense à trouver des saveurs originales qui fondent l’identité de notre établissement.

 

Raconte nous un peu les premiers mois. Comment as-tu vécu comme d’autres avant toi le stress du néo entrepreneur ?

 

Franchement c’est difficile. Les premiers mois, c’est vide, très vide. Trop vide. Tu dors mal, tu vois les factures qui s‘accumulent. Et en même temps, il y a tellement de choses à faire que tu n’a pas trop le temps de réfléchir. Et puis un jour, il y a un bon article sur toi sur un blog ou dans un journal. Et là, la machine s’emballe. C’est un moment incroyable, mais ca n’arrive que si vous êtes prêts.

 

Le fait de ne pas venir du milieu ne te pose-t-il pas de problème ? Comment se passe la cohabitation avec ton équipe, tes barmen ?

 

Les visions sont parfois difficiles à concilier. C’est souvent compliqué de réunir deux visions radicalement opposées : celles de l’investisseur qui porte sur le temps long, sur la vision globale du projet, et celle des bartenders, des artistes souvent épris de liberté, qui bien sûr ont une excellente maitrise de leur métier, mais peinent parfois à comprendre les impératifs financiers et leurs implications opérationnelles.
Lorsque nous avons lancé le projet, plusieurs bartenders nous ont suivi pour compléter l’équipe et il y a eu des moments compliqués. Il est certain que je manquais d’expérience dans ma gestion des hommes et de leurs susceptibilités. Ce n’était pas évident d’imposer mes propres règles dans un domaine où les gars avaient plusieurs années d’expérience de plus que moi. Aujourd’hui, tout le monde a gagné en expérience et je pense que ma façon de fonctionner est mieux comprise et acceptée.

 

On a l’impression que tu es tout en contrôle, même ici dans tes réponses. Tu serais par ailleurs pour certains assez compèt, n’aimant pas partager tes secrets de fabrication. Que réponds-tu à cela ? Il n’y a donc aucune place à l’improvisation ?

 

Ce que les gens veulent dire je pense c’est que je suis très attentif aux détails. Et c’est compréhensible ! Lorsque vous avez dix établissements, si un va moins bien, au final ce n’est pas très grave. Mais pour moi, la moindre improvisation, le moindre écart de langage, et c’est la catastrophe. On insiste toujours sur les succès, mais les échecs sont nombreux. Et cette attention aux détails explique souvent la différence.
En tout état de cause, je n’hésite jamais à envoyer mes clients vers d’autres établissements, ni à partager les secrets de mes recettes. Tenez, par exemple je suis ravi de partager avec vos lecteurs les secrets de fabrication du Vuela Buela Negroni :

 

  • Ca commence par une petite infusion de Safran dans une bouteille de Mezcal.
  • Puis vous laissez reposer une journée avant de verser dans un mélangeur 30ml de cette infusion avec 30ml de Cynar (une infusion de feuille d’artichauts dans de l’alcool) et 30ml d’Antica Formula (un vermouth rouge).
  • Pour terminer un petit coup de stir and strain dans un verre à whisky préalablement rempli de quelques cubes de glace.
  • Ajouter à cela un zeste d’orange que vous exprimez avant de le déposer délicatement dans le verre et hop le tour est joué !

Bien vu ! Maintenant que le LRD est pleinement sur les rails, quelles sont les prochaines surprises que Mister Prangée et son équipe nous réserve.

 

D’abord, j’ai envie d’inviter tous vos lecteurs à venir nous rencontrer et à pleinement apprécier l’expérience Little Red Door. Nos cocktails bien sûr et nos fameuses Master Class qui se tiennent régulièrement. Mais je pense aussi à notre jazz Live avec des artistes très talentueux, un rendez vous vraiment couru à Paris (Le prochain a lieu le 28 novembre NDLR) et aux réguliers vernissages qui ont lieu dans l’établissement. Sans oublier la qualité des mets et plats que nous proposons avec des influences indiennes et méditerranéennes.
Ensuite, et en exclu pour vos lecteurs, sachez qu’on a dans la tête une deuxième ouverture pour 2014. Ça commence tout juste à sortir des cartons. Revenez nous voir dans quelques mois !

 

Pour terminer, la déjà fameuse interview mitraillette afin que nos lecteurs puissent mieux vous connaitre :

 

1. Le cocktail que tu préfères: Le Vieux Carré, un mélange somptueux de rye/brandy, de bénédictine et de vermouth
2. Celui qui t’es le plus commandé au LRD : Le Frenchy, un assemblage étonnant de vodka de champagne et compote coing le tout relevé d’un peu d’épice
3. Ton top trois des bars parisiens : Le Coq pour les cocktails, La Fine Mousse pour la Bière, Le Que du Bon pour les vins
4. Le lieu où tu emmènerais dater une fille : chez moi j’adore faire à manger
5. Les people qu’on risque de croiser au Little Red Door : Florence Foresti, Mathilde Seigner, et… Shy’m il y a quelques semaines. Notre réputation n’a plus de limites !
6. Le bar qu’il va bientôt falloir découvrir à Paris : apparemment l’équipe à l’origine de l’Entrée des Artistes se prépare à ouvrir à Pigalle. On a hâte de voir ça.
7. La bouteille que tu ramènes lorsque tu veux faire plaisir à des amis : Cognac Merlet Collection St Sauvant
8. Le magasin où tu te fournis en matériel : Bars Solution
9. La plus jolie Bartendeuse de Paris : Gladys Gublin (Encore ? Je crois que nous tenons notre prochaine interview !! NDLR)
10. Le restaurant qui te fait rêver à Paris : Semilla rue de seine
11. Où peut on te croiser en dehors du LRD ? On va régulièrement au Marco Valdo
12. Les plus belles bouteilles du LRD ? Ocotmore 5 ans

 
La rédaction remercie Timothée pour sa disponibilité. Le LRD c’est ouvert tous les jours, de 18H à 2H. Derrière la petite porte rouge.
 
Good night and good luck
 
 
Romann pour Cocktail Molotov