Cocktail Protagonist : Damien Ariès

Ce papier inaugure une série d’interviews consacrées aux figures montantes du cercle très fermé du monde du cocktail parisien. Bartenders, investisseurs, bloggeurs, producteurs, ils sont jeunes, dotés d’une culture cocktail aussi cosmopolite que pointue apprise aux 4 coins du globe. Ce sont eux qui révolutionnent aujourd’hui la scène parisienne. Découvrez ces portraits atypiques en exclusivité sur CocktailMolotov. dans les semaines à venir. C’est Romann De Moelie, un nouveau chroniqueur pour CocktailMolotov qui se charge de cette rubrique.

 

Aujourd’hui, le premier article de la série est consacré à Damien Ariès, jeune chief-bartender du groupe Experimental.
 

 

Intro

 

Cela faisait quelques mois que nous n’avions plus mis les pieds au Ballroom, la perle cachée de l’ECC. Alors quand on a su qu’une nouvelle équipe avait pris les rênes, on s’est dit que c’était le moment de repasser une tête. Et on en a profité pour rencontrer l’une des étoiles montantes du groupe, Damien Ariès récemment nommé n°2 de l’établissement.
Joint au téléphone, le jeune homme d’une voix chaleureuse s’étonne d’abord de notre demande puis, accepte finalement notre demande d’interview. RDV est pris pour la fin de semaine, dans le célèbre sous-sol du Beef Club.

 

Quelques jours plus tard, nous empruntons donc le petit escalier si caractéristique de ce haut lieu du cocktail parisien. Damien est déjà là, préparant ses fameuses infusions, une des origines de sa notoriété naissante. Chemise noir et yeux azurs, il est en cette fin d’après midi l’incarnation ce mélange d’élégance italienne et de flegme britannique qui caractérise la nouvelle vague des bartenders de la capitale.
Confortablement accoudé au bar, on se sent comme hors du temps dans ce lieu chaleureux sans lumière naturelle. L’interview peut commencer :

 

CM : Damien, parles nous de ce qui t’a amené jusqu’au ballroom, des lieux, des hommes qui t’ont influencé et qui expliquent aujourd’hui ta maturité précoce?
 
DA : Contrairement à beaucoup de bartenders aujourd’hui, je ne suis pas passé par des écoles. Etudiant, Je faisais des études de langues et je servais dans des bars pour payer mes sorties mes voyages … Mon échange à Lecce en Italie (Damien parle couramment Italien, NDLR) a été dans ce cadre une sorte de révélation. Le patron du bistrot où je travaillais m’a introduit à l’univers du cocktail. Je devais rester 3 mois, j’en suis resté 6 de plus. J’avais 21 ans.

 

Après un passage dans un bar à Barcelone, l’idée que le cocktail pouvait être pour moi plus qu’une passion a commencé à germer.
A mon retour à Paris, j’ai cherché à me faire recruter dans les meilleurs établissements français. Même sans diplôme, ma passion parlait pour moi et je suis rentré au Bouddha Bar où j’ai servi sous les ordres de Bertrand Guillou Valentin. C’est ce grand Monsieur qui m’a introduit véritablement à la science des mélanges. C’est aussi à cette époque là que j’ai pris pleinement pied dans le cercle des bartenders parisiens.
Au bout de 2 ans, on m’a envoyé faire l’ouverture du Buddha de Monaco. Ça a été 6 mois de folie, de fêtes, où le champagne coulait a flot.

 

Et puis j’ai eu des envies d’exotisme. J’ai pris un billet pour St Barthelemy et je suis allé travailler sur la plage privée de Do Brazil. C’est la bas que j’ai intégré ces influences carribéenne que l’on retrouve dans mes préparations. Six mois après, à la fin de la saison, je m’embarquais pour Miami, sans green Card … et sans travail. J’ai finalement rebondi à Montréal où j’ai fréquenté le Lab, et le bar de l’hotel W.

 

Après ce périple de près de 2 ans, j’ai ressenti l’envi de rentrer en France. Lorsque j’ai appris que le groupe Experimental recherchait des bartenders qualifiés pour ses flagships l’Experimental et le Prescription, j’ai sauté dans un avion. C’était il y a tout juste un an. Quelques mois après on me confiait un poste de manager au Ballroom.

 

CM: Joli périple à seulement 28 ans. Ca explique beaucoup de chose !

 

DA : Oui Je mesure ma chance. Au cours de ces années, j’ai vraiment eu l’occasion de travailler dans des lieux extraordinaires et surtout de côtoyer quelques génies qui m’ont appris autant qu’ils m’ont fasciné.

 

CM : Par exemple ?

 

DA : Je cite souvent Tomas Estes, l’ambassadeur de la marque Ocho Tequila. C’est une sorte de figure tutélaire pour moi, j’ai été subjugué par l’étendue de sa culture. Il en donne un aperçu dans son livre extraordinaire The Tequila Ambassador. C’est aussi avec lui que j’ai compris l’importance de la théâtralisation dans l’univers du cocktail. Il disait toujours : tout cocktail est bien plus qu’un mélange, c’est un univers, une philosophie. Il y a eu un déclic pour moi, j’ai cessé de m’attacher uniquement au goût pour chercher également à raconter des histoires.
 

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CM : L’ingrédient que tu préfères travailler, c’est donc la tequila ?

 

DA : Eh non ! En fait, je me sens vraiment très à l’aise avec le rhum depuis mon passage à St Barthelemy. Derrière chaque appellation, chaque producteur, il y a souvent une histoire, une île, un peuple. C’est assez extraordinaire.

 

CM : Justement concernant le rhum, peux tu conseiller à nos lecteurs un bon rhum, original et décalé avec une jolie histoire à raconter ?

 

DA : J’ai envie de diriger vos lecteurs vers le rhum « Collection Plantation » de la maison Ferrand. Très célèbre pour ses cognacs, cette maison a eu l’idée d’utiliser les vieux fûts des chais français pour faire vieillir du rhum. Cela donne des produits d’une impressionnante puissance et diversité aromatiques. Comme, en parallèle, la sélection de produits est à l’image de la qualité de leurs cognacs, on se retrouve avec des assemblages assez fantastiques.

 

(On s’est précipité à la sortie de l’interview sur le « Plantation Grande réserve 5 ans », un très bel assemblage de différents rhums de la Barbade, vieillis 5 ans en fûts de Bourbon dans les Caraïbes, puis affinés dans de vieux fûts de chêne français au Château de Bonbonnet. Un cigare a la bouche, on était bien, NDLR)

 

 

CM : Maintenant que tu nous as mis l’eau à la bouche, on aimerait que tu nous parles un peu de cette nouvelle carte que tu présentes actuellement au Ballroom? Est-elle représentative d’un style Damien Ariès ?

 

DA : Un style Ariès ? Je ne crois pas. J’ai simplement vraiment voulu insister sur deux dimensions : la première qui est dans l’air du temps, c’est de travailler avec des produits frais, de saison notamment beaucoup de légumes et de multiplier les préparations maison (infusion, décoction etc). Aujourd’hui c’est ce que le public attend. Et moi j’adore ça car ça me permet de donner une vraie identité à mes cocktails. La deuxième, c’est de travailler la théâtralisation. Nos cocktails doivent raconter une histoire, faire voyager les gens. Et pour ça, le goût ne suffit pas. Le nez, les yeux, l’oreille sont aussi importants. Donc la gestuelle, les éléments de décoration ont aussi été approfondis.

 

Nos cocktails doivent raconter une histoire, faire voyager les gens

 

CM : Une recette ex exclu pour nos lecteurs ?

 

Vous savez les secrets de fabrication, chez nous on aime pas trop les partager ! Allez, je vais tout de même vous faire plaisir. Je vais vous donner la recette secrète du Trenchtown Mule, un cocktail que j’ai conçu pour refléter l’atmosphère du quartier de Trenchtown, cette favelas où est né le reggae avec des légendes comme les Gladiators, Bunny wailer ou bien sûr Bob Marley. Il fallait qu’il soit épicé, explosif comme ce quartier où l’insécurité règne et qu’il ait en même temps cette nonchalance jamaïcaine.

 

La première chose à faire, c’est de faire infuser du thé et un peu de poivre dans de la vodka. Vous faites donc bouillir un litre de vodka puis à ébullition vous y verser un shot de thé et quelques grains de poivre (1/3 de shot)
J’ai longtemps hésité sur le choix du poivre je me suis arrêté sur un poivre népalais assez doux pour éviter de trop enflammer le palais. Mais chacun peut adapter la recette !
Une fois l’infusion prête, vous laissez reposer une demi journée. A l’issue de cette période, le cocktail peut être préparé. Vous versez 5cl de l’infusion dans un shaker et vous y ajouter 2 cl de jus de citron vert (maison !) et quelques dashes de Pimento Dran, un bitter résultant de la macération d’épices dans un mélange de rhum et de sucre. Vous pouvez le préparer vous-même mais personnellement j’utilise le Bitter Truth Pimento Dran que vous trouverez sans peine dans les boutiques spécialisées.
On remplit avec des glaçons et on shake une quinzaine de secondes. On verse on the rocks sur un verre « highball » et on décore avec une tête de menthe et pour les plus spicy d’entre vous avec un zest de poivre. Je vous le disais : Explosif!

 

CM : Un petit mot sur le ballroom et en arrière plan le mythique groupe Experimental? Vécu de l’intérieur ca donne quoi ?

 

DA : Malgré la croissance du groupe, ça reste une famille où il est agréable de travailler. Bien sûr il y a beaucoup de mouvements parce qu’un bartender par définition c’est assez instable. Mais on ressent une continuité dans l’approche, dans ce pari un peu fou d’allier la rigueur d’un établissement 3* et le côté plus relax et détendu qu’apportent tous ces bartenders aux profils atypiques venus des 4 coins du mondes.
On nous laisse beaucoup de liberté pour apporter notre atmosphère pour exprimer notre créativité. Et ca ne se limite pas aux cocktails. Par exemple, on gère également l’animation, la musique…
Je trouve que le ballroom est un excellent reflet de cet état d’esprit.

 

CM : Ton avenir à l’ECC dans les années qui viennent ?

 

DA : (Il se marre) Ah c’est une bonne question ! Avec tous ces projets en cours (une ouverture à Ibiza est dans le pipe), je me retrouve des envies d’exotisme. J’ai encore pleins de chose à apprendre ici dans les mois qui viennent, mais après ca traverser pourquoi ne pas traverser une nouvelle fois l’atlantique ?

 

CM : Pour terminer, 20 questions en rafale qui seront posées à chaque interview de la série afin que nos lecteurs puissent mieux vous connaitre :

 

1. Le cocktail que tu préfères :
Old fashioned : Si simple, efficace et pourtant tellement souvent on en voit des ratés!
2. Et le snacking avec lequel le mixer :
Noix de pécan à l’apéro ou chocolat amer avec le digestif
3. Celui qui t’es le plus commandé :
Old Cuban (d’Audrey Saunders, twist de mojito qu’on fait un peu partout)
4. Le produit le plus original dans tes cocktails :
Dernièrement, le safran et le poivron rouge je pense
5. Ton top trois des bars cocktails parisiens :
ECC, Candelaria, Sherry Butt
6. Le lieu ou tu emmènerais dater une fille :
Sherry Butt
7. Le lieu où tu organiserais une soirée avec tes potes :
Au ballroom bien sur
8. Une anecdote avec une star :
Une fois notre physio à L’Expé a refusé l’entrée à Harry Roselmack à cause d’un bonnet qu’il ne voulait pas enlever…… Pas très physio
9. Les people qu’on risque de croiser au Ball room :
Edouard Baer, Virgine Efira dînent régulièrement au Beef Club et font des apparitions, on a eu Sébastien Loeb récemment aussi
10. Le bar qu’il va bientôt falloir découvrir à Paris :
Il faut aller découvrir l’Artisan, dans le 9eme, qui a ouvert il y a peu. D’autres bars arriveront bientôt mais chut…
11. La bouteille que tu ramènes lorsque tu veux faire plaisir à des amis :
Souvent, un rhum plantation jamaica 2000
12. Le magasin où tu te fournis en matériel :
Bar Solutions et Cocktail kingdom, entre autres
13. Ta devise / citation préférée :
« Why don’t you get out of that wet coat and into a dry martini ? » Robert Benchley à Ginger Rogers, ‘Everyday’s a holiday, 1942
14. Une blague de barmen :
Tout travail merite Salers ! (apéritif auvergnat )
15. La plus jolie Bartendeuse de Paris :
Gwladys Gublin.
16. La plus jolie serveuse de Paris :
Il y avait une petite serveuse très mignonne au Curio Parlor, Angélique, dommage elle n’y travaille plus (c’est ma copine au fait )
17. Le restaurant qui te fait rêver ?
L’Arpège, table d’Alain Passart dans le 7eme, c’est extraordinaire !
18. Ta cantine ?
Le Beef Club ! J’y mange très souvent, la viande est incomparable…
19. Ou peut on te croiser après la fermeture du ballroom ?
On va régulièrement au Tambour, rue Montmartre, petit bistrot très français ouvert jusque tard dans la nuit.
20. Les plus belles bouteilles du Ballroom ?
En Rhum, El Dorado 25ans, presque impossible à trouver à Paris car il n’est plus produit. En Cognac, Pierre Ferrand Sélection des Anges

La rédaction remercie chaleureusement Damien pour sa gentillesse et sa décontraction. On vous invite tout aussi chaleureusement à aller découvrir ses créations – tous les jours à partir de 19H au Ballroom