Les spiritueux sortent blanc de l’alambic. Nos lecteurs les plus avertis le savent déjà, mais beaucoup ignorent ce fait. Vos spiritueux favoris gagnent leur belle couleur au fil du temps passé dans le fût. Mais est-ce vraiment la seule chose qui explique la couleur du whisky ?
Plus c’est vieux, plus c’est foncé ?
On pourrait se servir de ça comme d’une règle de base. Plus mon whisky va passer du temps dans un fût plus il va se colorer. Bien entendu, tout n’est pas aussi simple au royaume des spiritueux. Les whiskys écossais sont vieillis dans des fûts déjà utilisés : bourbon, sherry, porto, et même Sauternes parfois ! Chacun de ces fûts va colorer différemment le whisky. Sans compter que deux fûts, même issu d’un même lot ayant fait vieillir le même type d’alcool ne seront jamais identiques, et qu’il est difficile de prévoir l’évolution du whisky dans un fût particulier sur plusieurs années. Tout ceci mérite un article en soi, et je ne développerai pas plus loin ici (mais dans un autre article peut-être, un jour). Or il y a une deuxième règle dans l’esprit du consommateur, qui est « plus c’est vieux, meilleure est la qualité ». Là encore, il y a de bons whiskys jeunes, et de la pisse de chameau vieillie 12 ans en fût de sherry restera toujours dégueulasse.
Vous voyez l’équation toute simple qui commence à se profiler ? Plus vieux = plus foncé, et plus vieux = meilleure qualité … Plus foncé = meilleure qualité ! Tadaaaaa !
Mettons-nous à la place d’un industriel : il a tout intérêt à ce que son whisky ait une belle couleur plus ambrée plutôt que le jaune pisseux qu’on peut trouver notamment avec le vieillissement en fût de bourbon.
A ma connaissance, aucun industriel ou négociant en whisky n’a clamé haut et fort qu’il allait mettre du caramel dans son whisky pour le vendre plus cher. En revanche ce que peuvent reconnaître quand même certaines maisons, c’est qu’ils ajoutent du caramel pour assurer une constance de la couleur d’une bouteille à l’autre.
En effet, chaque édition d’un single malt est issue d’une grande collection de fûts qui ont tous pris des chemins différents au cours de leurs vieillissement. Le maître de chai va assembler ces différents fûts de manière à obtenir une production constante au niveau du goût. Mais constance du goût ne veut pas dire constance de la couleur ! Pour s’éviter l’effort de devoir expliquer au consommateur pourquoi deux bouteilles qui portent exactement la même étiquette ont des couleurs différentes, les marques ont eu la bonne idée d’ajouter du colorant E150 pour que toutes les bouteilles aient la même couleur. Colorant E150, plus connu sous le nom de … caramel ! Il suffit de jeter un coup d’oeil à la législation pour voir que cette pratique est autorisée. A l’alinéa (h) de la définition de « Scotch Whisky », on trouve qu’il ne peut y avoir dans un Scotch aucun additif à part de l’eau et/ou du colorant caramel, le caramel ne pouvant être que du E150a (il existe aussi du b, du c et du d). Cependant ce ne sont que des recommandations et les lois anglaises et européennes étant plus permissives … En revanche, les autorités américains sont plus exigeantes, et on ne peut mettre aucun additif dans un bourbon !
En France malheureusement, et contrairement à l’Allemagne ou au Danemark, il n’est pas obligatoire de mentionner l’ajout de caramel. En Suède, la vente d’alcool étant un monopole d’Etat, ils obligent aussi à indiquer tous les additifs présents dans la bouteille. Une discussion déjà ancienne (et aujourd’hui disparue du site) dans le forum de Whisky Magazine liste certaines bouteilles qui contiennent du caramel E150a. Je vous laisse apprécier la différence de couleur entre le Bowmore 12 ans qui contient du E150a d’après cette liste, et un Bowmore de 2001, embouteillé en 2013 par Signatory Vintage, maison de négoce connue pour vendre ses whiskys en « couleur naturelle ». Certes le Bowmore 12 est un assemblage, il est donc susceptible de contenir quelques whiskys plus âgés que 12 ans, ou alors de fûts plus colorants. Mais la différence est quand même énorme non ? Surtout que la version Signatory Vintage est issue d’un fût de sherry second remplissage.
Maintenant vous faites partie des initiés, et vous ne laisserez plus vos yeux vous tromper. Mais attention, au final, les yeux, ce n’est pas très grave, ce qui compte, c’est votre palais. Ajouter du caramel, ce n’est pas innocent. On pourrait imaginer que le whisky serait plus doux, plus rond, ce qui nous pousserait à imaginer que le whisky est plus vieux qu’il n’y parait. Sauf que le E150a, ce n’est pas le même caramel qu’il y a dans une barre de Mars. Il a été chauffé longtemps à des températures élevées, et son goût est plutôt amer que sucré.
Alors là vous allez me dire : « Si c’est amer, ça peut quand même changer le goût ! ». Et vous avez bien raison. Et vous avez tort aussi. Parce que les Malt Maniacs ont conduit leurs propres expériences à l’aveugle sur le caramel, et le moins que l’on puisse dire, c’est que les avis sont partagés : ils vont de « le caramel ruine la finale de mon whisky » à « le caramel améliore les blends » en passant par « pour moi le caramel est neutre au niveau du goût ».
Pour conclure
Les sites Web cités dans cet article disent que la coloration au caramel concernent quasiment tous les blends, beaucoup d’assemblages, et rarement les single cask. C’est regrettable qu’on soit obligé de mettre du caramel dans un produit aussi noble que le whisky. Le whisky, on l’achète surtout pour le boire, et jusqu’à preuve du contraire, mes papilles n’ont pas d’yeux. Il est dommage que les marques se sentent obligées de tricher pour pouvoir mieux vendre leurs whiskys, plutôt que de faire l’effort d’éduquer le consommateur. Ce serait plus grave si cela modifiait le goût, mais ce n’est pas détectable par n’importe qui. Cette pratique concerne plutôt le bas de la gamme, même s’il est regrettable de voir quelques bouteilles comme le Talisker 10 ou Lagavulin 16 avoir recours à cet artifice.
Ce qui me dérange le plus, c’est que dans les pays où ce n’est pas obligatoire, la mention « contient du caramel » n’est jamais indiquée, ce qui prouve bien que cette pratique n’est pas assumée.
Le whisky n’est pas le seul concerné par ces pratiques, et nous parlerons dans de prochains articles de ce qu’il en est concernant le rhum ou le cognac.